Il y a 104 ans, un armistice, en forme de capitulation, était enfin signé, après quatre années d’une guerre européenne franco-allemande d’une barbarie d’un nouveau type, une guerre industrielle, avec ses armes chimiques, ses mitrailleuses, les débuts de l’aviation militaire, marquant au fer rouge un début de vingtième siècle avec un fond de l’air politiquement très étatiste-nationaliste, mais aussi, socialement assez rouge d’une classe ouvrière active, ses Bourses du Travail et une dynamique d’auto-organisation en expansion au niveau national, et international.
Les gouvernants des États-Nations en ce début de siècle étaient en conflit sourd entre eux pour « les parts de marché » que constituaient les conquêtes coloniales. L’empire britannique d’alors, au fait de sa gloire, assumait sa revendication de puissance hégémonique, de suprématie militaire et navale, refusant tout partage du pouvoir, et du « gâteau colonial », surtout en Asie.
Les impérialistes anglais, avec Winston Churchill nommé en 1911, ministre de la Marine, face à la montée de signes d’essoufflement de l’hégémonie britannique, avaient dans leur collimateur d’abord la Russie et ses visées sur le flan caucasien, puis l’Allemagne et ses prétentions maritimes.
Selon l’historien P.Frankopan (« La route de la crise »Flammarion, 2015) « La tentative désespérée de l’Angleterre d’empêcher l’extension de l’ombre russe contribua massivement à précipiter le monde dans la guerre ».
Mais, point commun de tous ces États-Nations en conflit, ils avaient tous une menace commune ; leur propre peuple de plus en plus revendicatif.
La guerre de 14-18 allait redistribuer les cartes à tous niveaux. Surtout saigner un monde rural en surnombre pour les besoins du monde industriel alors vorace en main d’œuvre, discipliner la classe ouvrière en recherche de dignité, de reconnaissance, et préparer, avec l’effort militaro-industriel mis en œuvre pour la guerre, la refonte, après-guerre, de l’agriculture sur le mode machiniste et chimique.
Entre autres « progrès civilisationnels » d’un nouvel ordre du monde techno-scientifique, avec le développement des communications, des transports, du pétrole… Géo-politiquement, les USA en furent les grands gagnants.
Tels ont été les résultats objectifs de ce suprême carnage, de ce tango des bouchers des États-Nations, qui s’est achevé avec une épidémie de grippe dite « espagnole » ravageuse.
Plus d’une décennie plus tard, en 1933, c’était la préparation d’une terrible revanche du vaincu, malgré la création en janvier 1920 de la Société des Nations qui s’est révélée impuissante à préserver le monde d’une autre guerre mondiale, et qui de ce fait fut dissoute en avril 1946 pour fonder l’ONU.
Guère plus efficiente.
Probablement moins que la dissuasion nucléaire, qui jusqu’alors a dissuadé les super-puissances en sa possession à s’affronter directement militairement.
La confrontation déplacée essentiellement sur les terrains économiques, financiers, politiques, technologiques, culturels, de propagande, sportifs amena à la capitulation soft de l’URSS début des années 90, et à l’irrésistible montée en puissance du totalitarisme high-tech chinois.
Aujourd’hui, en ce 104ᵉ anniversaire de l’armistice de 1918, le fonds de l’air est lourd de menaces, avec une seule certitude, notre civilisation industrielle, techno-scientifique, mondialisée, écologiquement suicidaire, économiquement frauduleuse, politiquement cynique, dépravée, droguée à la croissance dévastatrice commence à toucher les limites de l’impossible.
Les délires transhumanistes sont à présent le seul horizon des réalistes.
Les crises existentielles s’accumulent :
- pollutives de toutes sortes, de l’air, de l’eau, de la terre,
- crise de la biodiversité rapide très inquiétante,
- crises sanitaires aux causes multiples, chimiques, médicamenteuses, électromagnétiques, radio-active, et parfois inconnues,
- crise énergétique pour l’heure parfaitement insoluble,
- crises économiques récurrentes renforçant toujours plus des inégalités insoutenables,
- crise climatique aux conséquences encore assez imprévisibles,
- crise géo-politique entre un Occident hégémonique en déclin et une « Organisation de coopération de Shanghaï » alliance surtout de la Russie et la Chine contestant la prétention impérialiste intenable à terme des USA et de ses vassaux occidentaux,
- crise de confiance totale entre une nomenclature politico-affairiste soutenue par un entre soi d’une caste médiatique très bien élevée, toute dévouée à son combat éthique contre la populace se défoulant sur les réseaux sociaux.
En parallèle à une inéluctable remise en cause pratique, de la mondialisation exacerbée, de la sacro-sainte croissance, de nos modes de développement, de production, de consommation, qui de fait vont devoir être plus localisés, plus sobres, économes, de par les crises énergétiques et des ressources en matières premières, en parallèle, donc à ce retournement de situation impliquant une refonte de l’idéologie mondialiste triomphante, nous assistons à un retour des fièvres nationalistes dans les urnes à travers le globe.
Fièvre nationaliste débordant des urnes du côté de l’Est avec une guerre slavicide entre la Russie et l’Ukraine, guerre d’un vieux nationalisme russe contre le réveil du jeune et fougueux nationalisme du cousin ukrainien, une guerre par procuration entre l’Occident et la Russie où se joue la stabilité géopolitique mondiale, avec un troisième acteur en coulisse, puissant, inquiétant et difficilement prévisible, la Chine aujourd’hui incontournable, essentielle à l’économie mondiale.
Les vingt premières années du XXI siècle, le terrorisme politique des fondamentalistes islamistes sunnites de Ben Laden et ses troupes, comme celles d’un État Islamique directement né de l’extrême violence de l’occupation américaine de l’Irak, peuvent aujourd’hui passer complètement au second plan des angoisses populaires de nos démocraties à bout de souffle tant les perspectives actuelles d’avenir sont illisibles et inquiétantes.
Comme au début du XX siècle, la prétention outrancièrement hégémonique d’une super-puissance refusant tout multi-latéralisme, le chacun pour soi des États-Nations semble reprendre le dessus. La nomenclature politico-affairiste mondialisée est clairement aujourd’hui incapable de faire face aux multiples défis vitaux écologiques, énergétiques, climatiques, économiques, financiers, sociaux-politiques, sanitaires, géopolitiques, technologiques qui menacent l’humanité pour ce siècle à venir.
Avec en plus, cette nomenclature en bute partout dans le monde, sûrement même en Chine, à une fronde de plus en plus multiformes de contestations populaires écologistes, radicales et informées.
Où cette nomenclature va-t-elle trouver issue ?
La dénonciation-criminalisation des dits « fakesnews », des « complotistes », « éco-terroristes », « populistes », « antivax » et autres déviants à la doxa dominante médiatiquement, s’essouffle.
Il est clair pour toutes et tous que les maîtres des « fakesnews » sont souvent ceux qui les dénoncent, de même pour le complotisme, les services secrets, et certains loobys solidement structurés sont là pour ça, quand à l’éco-terrorisme, l’activisme militant de dégradation esthétique, ou autre, n’a rien à voir en gravité et en intention, avec les logiques productivistes de destructions massives du vivant, minéral, végétal, animal, humain que des fanatiques du « retour sur investissements » sont capables de mettre en œuvre en toute connaissance de causes.
Une crise sanitaire mondialisée, avec ses « distanciations sociales », semble ne pas en être venue à bout, de ces contestations mondialisées toujours plus larges et radicales.
Où les nomenclatures politico-affairistes vont-elles trouver une issue pour la survie de leurs privilèges ?
En espérant que les souvenirs cruels, effarants des guerres de 14-18, de 39-45 réussissent encore à calmer les ardeurs guerrières et nationalistes de plus en plus présentes dans le débat public, je vous salue bien bas et vous prie de m’excuser de cette commémoration peu orthodoxe, anxiogène, mais sincère et documentée.
Que les martyrs de Limans, et d’ailleurs, et d’en face, qui ont vécu le même enfer de 14-18 reposent en paix.
Nicolas Furet
vendredi 11 novembre 2022